Sir Richard Brown regarde sa montre.
16h45
Il est en avance et regarde autour de lui. Le verre et l’acier dominent le décors.
Quartier de la Défense à Paris.
Décidé de marcher jusqu’à de l’Avenue de la Division Leclerc et l’Avenue Albert Gleizes, il leva les yeux. Majestueuse, la Tour TotalEnergie impose sa couleur bleue, au point de contraster avec le ciel gris de Novembre. Bientôt le déclin de la luminosité se présentera et les lumières artificielles vont illuminer l’ensemble du quartier des affaires.
Revenant sur ses pas, il entre dans l’Elipse – The Table Bar. Son rendez-vous était déjà assis sur la banquette bleue d’un des espaces de l’établissement. Observant rapidement l’environnement, Sir Richard Brown remarqua que la baie vitrée était loin, et qu’il y avait de l’espace pour discuter. Un bon point. Mais, il n’aimait pas tourner le dos dans un restaurant. Déformation professionnelle d’ancien Maitre Espion qu’il était toujours.
– Je pense que vous préférez la banquette ? propose l’homme qui se lève pour lui céder la place.
Il est 17h02, le thé est commandé.
– Vous savez Richard, même si j’ai vécu la moitié de ma vie ici en France, je n’en reste pas moins un anglais comme vous.
Les traditions moins elles se justifies, plus il est difficile de s’en débarrassé, disait Mark Twain. La réflexion amusa Sir Richard Brown, qui aimait bien la personne qu’il avait en face de lui. Ingénieur de formation, John Davis à 40 ans de carrière dans le paddock et il est désormais consultant depuis une dizaine d’années pour des constructeurs et certaines équipes de F1.
Déposant sa tasse de thé en premier, Davis suivant du regard son geste délicat.
– Richard, j’ai demandé à vous voir pour vous parler de quelques choses d’ordre technique et économique concernant le E-carburant…
Sir Richard Brown posa lui aussi sa tasse de thé et fixa de son regard acier son interlocuteur. Ce dernier, interprétant le geste du maitre espion comme une invitation au développement, n’hésita pas pour continuer.
– En fait, la réglementation technique 2026 des moteurs est assez frustrantes, car ce ne sera pas un match de motoriste, car tout le monde sait faire un moteur, mais ce sera un match de pétrolier avec cette histoire de E-carburant. Hummm comment te dire. En coulisse, les écuries se font la guerre pour obtenir le concours de pétroliers performants, mais il y a des disparités d’intérêt et d’investissement avec le E-Carburant.
– Mais, les géants de l’or noir ne doivent-il pas investir dans ce genre de carburant du futur ? estima Sir Richard Brown.
– Oui, comme BlackRock leur a bien expliqué pour garantir et augmenter leur performances en bourse et attirer des investisseurs, mais dans la réalité, il y a disparité.
– C’est-à-dire ?
– En fait, j’ai entendu que le moteur Mercedes a gagné 50 cv grâce au E-Carburant de Petronas. C’est incroyable, car ce n’est que le début.
– Cela rappel les essences spéciales des années 90…
– Exactement oui, je m’en souviens c’était 40 cv de gain uniquement avec de l’essence d’aviation optimisée. Mais, ici, le gain résulte de l’investissement du pétrolier malaisien dans la technologie E-fuel depuis plusieurs années afin d’optimiser la consommation des moteurs thermiques et donc leur rendement. A Kuala Lumpur ils ont investit 14 milliards dans cette technologie.
Sir Richard Brown fixa un groupe d’amie qui entra bruyamment dans l’espace. Les éclats rires couvraient les courts échangent. Le Happy Hour, le moment de détente pour le personnel, après une longue journée au bureau. Heureusement, le groupe était à distance et ne pouvait perturber l’échange entre lui et l’ingénieur. Cette distraction passée, Sir Richard Brown estima que 14 milliards était un important investissement. John Davis repris une gorgé de son thé.
– En échangeant avec des ingénieurs du secteur, il y a une certaine inquiétude pour différents acteurs. Car le pétrolier qui maitrise la technologie aujourd’hui, sera le favori de demain. Et je pense que Petronas va avoir une avance colossal en 2026 et peut-être pendant les trois premières années de la nouvelle réglementation.
– Et les autres pétroliers sont en difficulté ?
John Davis regarda à gauche, puis à droite, par reflexe.
– Shell, après un gros investissement de 3.5 milliards en 2022 a décidé de freiner son investissement dans le domaine. En Juillet, le groupe s’est même retiré d’une start-up suédoise qui élaborait un type de E-carburant innovant. Au total ils ont investi 6 milliards depuis 2020, mais ils ont décidé d’investir 15 milliards pour trouver de nouveaux gisements de gaz et pétrole. On ne se refait pas. Le pétrolier veut augmenter sa part dans le gaz surtout. Du côté de Exxon Mobil, c’est la catastrophe, l’investissement annuel est de 500 millions de dollars, ce n’est pas la priorité du géant américain. BP de son côté du investir 700 millions de dollars dans le E-carburant, mais cela ne fait pas partie de sa stratégie et ils comptent sur l’investissement du groupe VAG via Porsche dans le domaine pour combler le retard. Le seul rival de Petronas c’est Aramco.
Aramco, le géant pétrolier d’Arabie Saoudite. Sir Richard Brown estima John Davis, mais il est interrompu par le serveur surgissant de nulle part en leur demandant en français, si tout allait bien.
– Aramco a une stratégie agressive avec l’investissement dans Horse de Renault, et son partenariat avec Stellantis et aussi des accords avec d’autres pétroliers. D’ailleurs Aramco et Repsol ont investit 1 milliard pour une usine à Bilbao. Au total, le pétrolier a du investir 10 milliards et s’est associé avec Valvoline et Honda pour la conception de la prochaine unité moteur du japonais.
Sir Richard Brown eu une pensée soudaine. En effet, si Petronas est en avance grâce à son investissement, que Honda risque d’être dans le coup avec Aramco, Red Bull Powertrain avec Exxon Mobil et Audi avec BP Castrol risquent d’avoir du retard. Un retard qui ressemblerait à l’écart de technologie entre 2014 et 2017 entre Mercedes et les autres constructeurs moteurs. Une perspective catastrophique.
– Finalement, le choix de l’abandon de Renault de son unité 2026 semblait logique. S’il n’y a pas de soutien d’un pétrolier actif dans la technologie du E-carburant, quel avenir sur la piste ?
En sortant de l’Elipse, John Davis leva les yeux. Il faisait nuit.
– Novembre n’a finalement pas d’après-midi, c’est juste le matin jusqu’à 14, et puis c’est la nuit.
Comme la prochaine guerre du E-carburant. Un long matin de développement pour certains et une sombre nuit sportive par la suite. Il risque d’y avoir des retours sur investissements décevants et des départs de motoristes, au lieu d’en attirer comme souhaité.