La situation de l’écurie Alpine depuis plusieurs semaines est en fait une vieille histoire. Celle d’une écurie, qui a toujours été en conflit avec son organigramme. De Benetton à Renault en passant par Lotus F1 Team. Le problème a toujours été visible depuis 35 ans.
En Juillet 2023, le ménage s’est installé. Exit Otmar Szafnauer, exit Laurent Rossi. La guerre des égos laisse la place à un duo : Bruno Famin, qui était patron des moteurs Alpine auparavant, et Philippe Kieff. Les missions sont définis : au premier la promotion de la marque Alpine, au second le développement produit des véhicules Alpine. Famin était là pour une mission intérim…mais à Enstone, les missions intérims deviennent souvent indéterminée par la force des choses.
En course automobile, il existe une théorie selon laquelle pour devenir compétitif, une écurie doit s’améliorer plus rapidement que les rivalités. Nous ne parlons pas ici, de rivalité sur la piste, mais interne.
Lorsque Luciano Benetton après un voyage aux Etats-Unis convie Flavio Briatore au GP d’Australie 1988, il y avait une idée derrière la tête. A d’évaluer l’écurie Benetton Formula. Nous sommes fin 1989. La mission est de 6 mois, Briatore s’installe à l’Hôtel Cadogan en Angleterre. En réunion interne à Trévise, les dirigeants italiens font le bilan après le GP d’Italie à Monza cette année-là. Une victoire au Mexique en 1986 avec Gerhard Berger et puis c’est tout. L’accord d’exclusivité moteur avec Ford et Cosworth n’a pas permis de grandir aussi vite que convenue. Depuis trois saisons, l’écurie reste comme elle est. Sympathique.
La missions d’évaluation de Briatore qui était de 200 jours, passe à 4 semaines et déjà un rapport d’évaluation est déposé sur le bureau de Benetton. Il faut plus d’argents, de nouveaux sponsors, plus d’audace technique et un rythme plus rapide. Briatore propose de s’en charger durant la saison 1990. Uniquement. Comme Directeur Commercial. Le début de la guerre civile.
A l’usine, la résistance s’organisera. Si la famille Benetton soutenait Briatore, le personnel de l’écurie ne voulait pas en entendre parler. La culture était celle du développement constant et non de la rupture.
Briatore a noué un lien avec Michaël Kranefuss, le patron du sport automobile chez Ford, pour stabiliser l’aspect moteur, via un accord commerciale. Jackie Stewart, historique de la marque américaine, est embauché comme consultant marketing. Le Team Principal de l’époque était Peter Collins, un ancien de Lotus et Williams. Ce dernier avait confirmé Johnny Herbert en 1989. Le premier acte. Briatore, soutenu par Ford décide de remplacer Herbert, l’estimant faible physiquement (il avait un grave accident), par Emanuele Pirro. Fin Août, Collins quitte l’équipe, Briatore prend les rênes de l’écurie.
John Barnard sera embauché quelques temps plus tard en octobre, ainsi que Nelson Piquet en septembre, triple champion du monde. La saison 1990 s’annonce. En coulisse, Rory Bryne, Pat Symonds quitte l’écurie qui développe un centre de design à Godalming. L’écurie embauche 20 personnes, passant à 75 employés. Sandro Nannini remporte la deuxième victoire de l’histoire de l’écurie au Japon 1989. Durant cette période, Benetton Formula s’est lancée dans une politique de relation publiques innovante, s’invitant en publicité dans les magazines de mode et glamour féminin. Benetton souhaite promouvoir sa marque et son style de vie. Briatore signe un accord de 20 millions de dollars par avec Nippon Autopolis pour 1990, puis la marque de tabac au dromadaire Joe pour 10 millions. Le budget est au niveau de Williams à l’époque.
Toutefois, la transformation de l’organisation dans un laps de temps si bref ont entrainé des tensions. Les anciens de Tolman parlaient à voix basse. Les rumeurs autour de l’équipe anglo-italienne alimentaient les chroniques du paddock. Mais, tout le monde a continuer à travailler avec le nouvelle culture. La B190 et la B191 sont nées dans ces conditions. Flavio Briatore et Luciano Benetton font même un deal avec Tom Walkinshaw (35% du capital de l’écurie, contre 50% de TWR) et l’écurie déménage à Enstone. Le terreaux à une prochaine guerre civile.
Briatore a ensuite développer une stratégie de maintien d’autorité pour être le seul en haut de l’organigramme de l’équipe. Tom Walkinshaw est écarté en 1994. Mais, lorsqu’en 1997, Alessandro Benetton, le fils de Luciano, s’installe en haut de la pyramide Benetton Formula, les tensions se sont fait sentir. Briatore se retire, David Richards le remplace, pour partir quelques mois plus tard. Au sommet, il n’y a de place que pour une seule personne.
C’est ce qu’avait compris Flavio Briatore, qui lors du retour de Renault en F1 en 2000, a obtenu d’être le seul homme à Enstone. Lorsque les tensions ont été visible avec Jean-Jacques Hiss et son V10 111°C peu puissant, Briatore deviendra en 2004 le patron de Viry-Châtillon et organisa le retour de Bernard Dudot. La stabilité s’installe et les titres 2005 et 2006, les résultats les plus significatifs de la stratégie.
L’histoire a démontré que Peter Collins avait tords, le changement était indispensable pour Benetton afin d’en faire un Top Team (je vous invite à redécouvrir les podcasts story : Benetton 1990-1997 en cliquant ici).
En 2006, Renault installe une nouvelle organisation à la tête de Renault Sport. Patrick Faure est remplacé à Alain Dassas, qui se mêle des négociations avec des sponsors et des droits TV avec Bernie Ecclestone. Briatore aura sa tête. Dassas est remplacé en 2007 par Bernard Rey. Moins interventionniste, mais ayant l’objectif de rendre rentable l’activité motoriste du constructeur.
Sautons dans le temps, avec l’arrivée de Genii Capital et du duo Gerard Lopez et Eric Boullier. Lorsque ce dernier est parti chez McLaren en 2014, le premier l’a remplacé. Une démarche étonnante, démontrant les tensions depuis quelques années entre les deux hommes. Notons que Boullier avait parfaitement modernisé la culture de l’usine d’Enstone avec son approche. En 2016, l’organigramme de Renault F1 Team est étonnant : Jérôme Stoll (président de Renault Sport), Cyril Abiteboul (directeur-général de Renault Sport Racing) et Frédéric Vasseur (directeur de compétition Renault Sport Racing) en assurent le management. Le dernier partira et sera remplacé par le deuxième. Depuis l’organigramme est toujours aussi tendu. Trop de patrons, aux rôles trop floues. Idéal pour développer les ambitions.
Aujourd’hui nous revenons à la fin des années 80. Benetton était surtout soutenu par la famille Benetton et avait peu de sponsors. Briatore a rendu l’écurie indépendante et performante. La culture d’Enstone était un mélange d’équilibriste. Entre innovation et conservatisme. Mais, toujours en faisant évoluer un seul des deux mélanges à la fois. Si l’écurie était innovante sur le marketing, elle était traditionnelle techniquement. Si elle innovait techniquement (1996 et 1999 ou 2011 par exemple), elle restait très conservatrice niveau pilote ou dans son approche marketing. C’était l’une ou l’autre. Mais rarement en même temps. La principale composante de la réussite de l’usine d’Enstone à travers le temps. Depuis le début 2021, Alpine F1 Team est comme Benetton Formula à l’époque ou Lotus Racing en 2011. La monoplace A524 est une rupture par rapport au deux précédents modèles, qui représentaient l’ancien régime. Comme la B190 et la R31 avaient marqués la rupture, avec beaucoup de bas au début de saison. Les rumeurs Briatore/Newey renvoie à celle Briatore/Barnard à l’époque. Le départ d’Esteban Ocon est aussi un résultat de la nouvelle politique de l’équipe. Plus intéressant, la culture actuelle ressemble à ce qu’avait réalisé Eric Boullier en 2010/2011/2012. A suivre, mais il y aura encore des départs, les rumeurs vont continuer, comme dans les années 90 et 2010. Mais, finalement, la rupture est ce qui a toujours réussi à l’usine.
Voyons si l’actuelle guerre civile donne raison aux uns ou aux autres.